De l’importance rédactionnelle des conditions suspensives
En pratique, des conditions suspensives sont régulièrement insérées dans les contrats (obtention d’un prêt bancaire, d’un permis de construire, etc.) pour protéger une partie qui n’accepte de s’engager qu’à condition qu’un événement déterminé se réalise.
L’exécution du contrat est alors subordonnée à la réalisation de la condition suspensive : si le prêt ou le permis de construire est obtenu, le contrat doit être exécuté. A défaut, le contrat devient caduc : il est anéanti pour l’avenir (Civ. 3e, 14 octobre 2009, n°08-20.152).
Inversement certaines parties abusent de ces clauses pour se libérer de leur engagement en faisant en sorte que l’événement en question ne se réalise pas.
Pour lutter contre ces pratiques, l’article 1304-3 du Code civil précise que « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement ».
Autrement dit, si l’événement qui conditionne l’exécution du contrat ne se produit pas à cause de la partie à laquelle profitait la condition suspensive, on fait comme si l’événement s’était réalisé : le contrat doit être exécuté et la partie fautive dans la levée de la condition suspensive engage sa responsabilité si elle refuse de le faire.
La difficulté se pose fréquemment dans le cas de ventes immobilières concernant la condition suspensive d’obtention d’un prêt bancaire.
Il est clair que l’acheteur qui demande à sa banque un prêt présentant des conditions plus sévères que celles qui sont énoncées dans le compromis de vente commet une faute. Par exemple : un prêt d’un montant supérieur, ou à un taux inférieur, ou sur une durée inférieure.
Mais qu’en est-il de l’acheteur qui demande et obtient un prêt à des conditions plus favorables que celles prévues dans le compromis ? Doit-on considérer que la condition suspensive est remplie ?
L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2021 répond à cette question par l’affirmative.
Un compromis de vente a été signé sous condition suspensive d’obtention d’un prêt d’un montant maximal de 725 000 €. Les acheteurs avaient obtenu une offre de prêt mais d’un montant de 539 900 € et considéraient (à la différence des vendeurs) que la condition suspensive était accomplie.
La cour d’appel avait donné raison aux vendeurs et jugé que le prêt demandé pour un montant inférieur à ce qui était prévu au compromis ne permettait pas de lever la condition suspensive. Mais la Cour de cassation réfute ce raisonnement.
Prenant pour fondement la force obligatoire du contrat (tel que résultant de l’article 1103 du Code civil), elle affirme que la condition suspensive n’imposait qu’un montant maximum et que l’obtention d’un prêt d’un montant inférieur permettait de réaliser la condition suspensive, peu important que le montant dudit prêt ne soit pas de nature à couvrir le prix d’acquisition.
Il faut rappeler que l’acheteur a toujours la possibilité de renoncer à la condition suspensive : il peut décider de réitérer la vente même s’il n’a finalement pas obtenu le prêt escompté. C’est ce qu’il a fait d’une certaine façon ici, en décidant de se contenter d’un prêt d’un montant inférieur à celui prévu dans le compromis.
Mais s’il avait voulu renoncer à son projet faute d’avoir obtenu un financement suffisant, il n’aurait pas pu le faire. La condition suspensive ayant été levée, la vente était définitive sans possibilité de rétractation.
D’où l’importance rédactionnelle de ces conditions suspensives.
Civ. 3e, 14 janvier 2021, n°20-11.224